LE BÛCHERON ET LE GRAND CHENE

C'est l'histoire d 'un bûcheron qui ne sait plus comment couper les arbres ; cela fait si longtemps qu'il n'a pas eu de commande et qu'il ne travaille plus qu'il ne connaît même plus les gestes nécessaires pour scier …

Avant, il choisissait les arbres avec soin et en accord avec eux ; il allait voir le grand chêne, qui connaissait chacun des arbres et leur santé ; la destinée de chacun n’avait aucun secret pour le grand chêne car il tenait lui même le grand livre des désirs de vie de ses congénères...

Le mélèze voulait croître suffisamment pour pouvoir être transformé en lit d'enfant;

Le pin, quant à lui, avait pour but d'offrir ses fruits, son écorce et sa sève à des fins thérapeutiques;

L'arbre parapluie préférait faire la jonction entre la terre et le ciel ; il serait celui qui porterait les messages du ciel vers la terre en protégeant l'un et l'autre.

Le grand chêne ne jugeait pas, accueillait et recueillait les aspirations de chacun, se contentait de les noter puis de les retransmettre en temps voulu au bûcheron.

Au début, démarrant son métier, le bûcheron écoutait les désirs des humains, les faisait correspondre aux besoins des arbres, en se fiant à l'avis du grand chêne, qui n'en avait aucun d'ailleurs...

Et quand on lui demandait un lit d'enfant, il allait voir le mélèze qui s'offrait avec joie puisque son souhait était enfin exaucé.

Il n'entendait alors pas encore le brouhaha de tous ceux qui s'étonnaient de voir un tel arbre finir de la sorte...

Mais comme l'écoute de la nature rendait son ouvrage plutôt satisfaisant, puisque chacune des parties semblait comblée, le bûcheron avait finit par crouler sous les commandes...

Et alors que les demandes augmentaient, son ego avait grandi tout autant et il finit par penser que tout cela était dû à son simple talent...

Ainsi afin de gagner du temps et pour satisfaire le plus de clients possibles, il prit l'habitude de ne plus consulter le grand chêne ; n'ayant alors plus le recul suffisant, il oublia petit à petit les volontés de chacun des arbres ;

Lorsqu'il se dirigeait vers un arbre par erreur, celui ci le lui faisait remarquer... tout d'abord il écoutait la requête et repartait vers un autre... puis petit à petit, toujours plus pressé et tout aussi arrogant, il forçait la coupe, malgré les protestations et la lutte de l'arbre ; sa tronçonneuse avait toujours le dernier mot, mais les clients étaient mécontents des ouvrages ; les lits ne permettaient pas d'accéder au repos, les élixirs ne guérissaient plus et les hommes étaient coupés des messages des cieux...

Le bûcheron s'entêtait malgré les différents appels du grand chêne qui venait le visiter en rêve et lui demander de venir à lui.

A force d'épuisement par des nuits sans repos, le vieil homme finit par rejoindre le grand chêne et sans un mot, planta violemment sa hache en son tronc...

C'est alors que le grand chêne lui dit:

« Enfin ! Cela faisait si longtemps que tu n'avais plus exaucé les rêves des arbres. Car le mien, vois tu, était d'aider les hommes à recouvrer la vue et l' esprit... Je crois bien que ma perte va te conduire à tout cela ... »

L'homme regarda alors choir son ami et décida de demeurer désormais là, assis sur son tronc, afin d'être au plus près des besoins des arbres.

Certes, il avait oublié les gestes nécessaires pour couper, scier un arbre ; mais il était entrain de réapprendre à écouter les arbres, tout comme il le faisait lorsqu’il croyait ne rien savoir, et qu'il savait justement tout ce qui est simplement nécessaire.